Le Prophète toscan réhabilité
Je vous ai déjà parlé à quelques reprises, dans certains de mes précédents articles, de la plus haute montagne de Toscane, le mont Amiata (1738m). Mais je n’ai jamais évoqué le Monte Labbro (1193m), qui se dresse sur les flancs sud-ouest du mont Amiata. C’est un endroit austère au relief plutôt morne et inhospitalier. Mais d’étonnantes structures, bâties par l’homme, attendent le visiteur qui se donne la peine de gravir le sentier rudimentaire qui mène au sommet venteux et escarpé du mont Labbro.
Daria Cervini, propriétaire du domaine de Vivo d’Orcia, m’a entraînée un jour le long de ce sentier. C’est là que j’ai entendu parler pour la première fois de Davide Lazzaretti, qu’au XIXe siècle plusieurs désignaient en Italie comme le « prophète hors-la-loi ».
Né d’une famille pauvre en 1834, Davide Lazzaretti déclara, lorsqu’il était encore jeune homme, avoir eu des visions de nature religieuse. Ses ardentes prises de position en faveur d’un « Christ des pauvres » lui valurent l’hostilité de la classe dominante et des grands propriétaires terriens. Il fut reconnu coupable d’apostasie à quelques reprises et jeté en prison.
Avec l’aide de ses disciples, il entreprit de construire au sommet du mont Labbro un bâtiment circulaire de pierres sèches, la Torre Giurisdavidica, une petite église ainsi qu’une sorte de salle de réunion où il pouvait exposer ses idées philosophiques sur l’égalitarisme. Les vestiges de ces édifices peuvent être aujourd’hui visités, et par beau temps on peut apercevoir au loin, du haut de la tour Giurisdavidica, la ville de Rome.
En août 1878, Davide Lazzaretti organisa avec ses adeptes une procession pacifique dans le village voisin d’Arcidosso. Une patrouille de gendarmes reçut l’ordre de tirer sur le groupe sans défense. Lazzaretti reçut une balle à la tête et ne passa pas la nuit. Il y eut deux autres morts et une quarantaine de disciples furent blessés.
Après la mort de Lazzaretti, ses partisans et ses détracteurs continuèrent de s’opposer – et encore aujourd’hui des divergences de vues subsistent quant à l’héritage religieux et philosophique que le « héros des pauvres » a laissé derrière lui. Afin de lui rendre hommage, ses plus fidèles adeptes gravissent chaque année, au mois d’août, les pentes abruptes du mont Labbro jusqu’à son sommet afin d’y faire une prière ou y déposer une fleur.
Dans le village d’Arcidosso, on a ouvert un centre de recherche dédié au prophète réhabilité, et la bibliothèque municipale abrite aujourd’hui le musée Davide Lazzaretti.
Je vous recommande fortement l’excursion qui conduit au sommet du mont Labbro. Je suis sûre que ce sera pour vous, comme ça l’a été pour moi, une expérience inoubliable.